Qui est-elle






   Marchant l’un à côté de l’autre durant les trois derniers kilomètres avant d’arriver au camp encore un peu en paix, où j’ai laissé Quiestelle, les cavaliers sont restés en retrait à notre allure, de plusieurs montures, pour respecter notre silence.
L’évidence est que Sami sait ce que je sais, ne sait pas ce que j’ai fait, sait pourquoi je suis ici, je suis son ami, même avec tout ce que l’on m’a dit sur sa famille, sur lui.
Suit dans le camp, un climat de peur, la paix au petit matin a disparu.
Vu par les éclaireurs depuis un bon moment, tout le camp est dans ses retranchements, femmes et enfants, sont dans les tentes, les hommes se sont armés pour une attaque éventuelle, ils se sont cachés derrière les palmiers.
Arrivé devant le camp, Sami m’a pris dans ses bras, m’a chuchoté qu’il ne pouvait pas tout m’expliquer ici, que tout était écrit et qu’il n’était pas l’ennemi que l’on m’a décri.
Puis c’est autour des hommes du camp de se prosterner à mes pieds, embrassé par Sami, salué par trente guerriers, je suis le nouveau roi de l’endroit, j’ai par mon amitié avec un grand commandement et son armée, préservé pour plusieurs années la paix à ce point d’eau.
Au centre du camp, toutes les femmes et leurs enfants ont crié mon arrivée, Quiestelle est chargée d’une jarre remplie d’eau, la décrire à cet instant immobile, c’est comme si son temps venait de s’arrêter.
Mes yeux toujours baissés pour éviter les siens, on se tient à un mètre l’un de l’autre, je vois ses mains qui tremblent, elles doivent trembler depuis soixante jours.

    Pour moi, durant toute cette durée, je n’ai jamais cessé de vous penser, votre nom est toujours sur mes lèvres, votre image est au creux de mes yeux, votre empreinte est gravée dans mon cœur, je n’ai pas dormi depuis que vous estes parti, vous faites tant de bruit en moi quand vous n’êtes pas là.

Passés les deux points de contrôles, de cette patrie mise en charpie depuis deux décennies, Quiestelle s’est assoupie, blottie contre mon bras engourdi, nous avons roulé toute la nuit.
L’esprit fixé sur toutes les personnes endormies dans le minibus, qui nous reconduit, et sur tous les côtés de la route, je ressens toute cette peur de représailles, ces batailles, et celles qui tenaillent les femmes dans ces pays.
Ici, le tribunal de rue décrète les lapidations, de plus, cette femme est doublée d’un métèque, là, c’est la pendaison pour nous deux au sommet d’un pipeline dans les parages.

Sages, nous descendons séparément, en direction du dernier check-point me concernant.
Dans la longue attente du contrôle des autorités, sa main disparaît dans la mienne, nous devenons un, elle et moi sommes un.
Viens que Dieu a façonné elle et moi, afin de jouer au jeu de l’adoration tous les deux.
Yeux dans les yeux pour la première fois, notre sang, se met à bouillir, le sol s’émiette sous nos pieds, le ciel se fissure, tout se met à trembler.
Ses pensées sont miennes, son cœur est mien, toutes les parcelles de nos deux corps ne font qu’un, nous nous privons de nos cœurs l’un de l’autre pour l’un à l’autre, nos mains se défont, deux hommes armés sont postés à la frontière.
Prière de Quiestelle, elle m’a entraînée dans le fossé.
Allongée de très très près, elle m’enlace, elle est contenue en moi et moi en elle, elle me serre très fort.
Passeport en main, me dirigeant vers la barrière de son pays, de nos deux vies, vaines paroles elle et moi, une lumière, un rayonnement, nous sommes rendus au firmament.
Dans mon cœur, passe une image, son image, je lui remets le passeport de Quiquimiel, et de quoi pouvoir faire front, subsister.
Changer la photo de ce laissez-passer, Quiestelle pourra voyager dans l’âme de Quiquimiel, et où qu’elle soit, je ne verrai qu’elle.

Anas De Bernieras

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