Bouté par l’ouragan de mon entendement, dès le commencement de
l’apparition du fil blanc dans le ciel, mon mulet et moi, sans se retourner
avançons rapidement afin de s’éloigner.
Les habitations basses de cette province ressemblent maintenant à un
infime nid niché au milieu des buissons de mon nouvel horizon.
Foisons de visages s’imposent à moi, je sais qu’ils vont être inquiets à
mon sujet, je peux en connaître la raison.
Soyons sensés, je ne me suis pas embarqué pour un voyage de tout repos.
Aux quatre coins cardinaux, peu importe la destination, il me faut
m’assurer de voyager intérieurement.
En voyageant ainsi, je pourrais parcourir le monde entier et bien
au-delà.
Là, il me faut anticiper, assimiler les adversités à venir.
Souffrir de la piqûre d’une épine de rose, ce n’est pas souffrir de la
difficulté de la vie ?
Aussi je suis né avec, et dans la douleur, par conséquent ma voie dans
la vie, est labeur.
L’heure est de cheminer sans trop savoir à quoi m’attendre, mais Dieu
est grand et il me guide sur le chemin de mon destin.
Un certain regain d’amour nous change, partir a tenté d’échanger de
l’amour contre de la terreur, nous fera tous certainement mûrir.
Mourir en cherchant un peu d’amour, c’est commencer à changer
intérieurement.
Évidemment comme la terre cuite qui durcit à une chaleur très intense,
l’amour ne peut se parfaire que dans la douleur.
Lueur chancelante de bougie, odeurs et bruits de l’obscurité, je laisse
la petite pièce de repos que j’occupe depuis deux jours.
Pour le premier camp, il m’a fallu six mille kilomètres d’avion et mille
deux cents kilomètres de cars locaux.
Aux carreaux de la fenêtre, je distingue ma face recouverte de longs
cheveux de tête et de barbe, âpreté du costume local et coiffé d’un turban, me
voilà porter un nouveau nom, un nouvel âge, plus de passé, pas d’avenir, juste
un présent.
Dans mon paquetage, je partage mes effets et ceux de Quiquimiel qui
m’accompagne où que "j’âme", mon passeport et le sien, pour quel voyage auprès de
moi, j’ai également un peu de miel qui me rappelle sa fragrance tout le temps.
Brûlant d’impatience, je l’entends, elle ne va pas tarder à se
rapprocher tout prêt.
Après avoir papoté tant bien que mal avec quelques signes de mains et
deux trois mots dans la langue locale, j’ai réussi à acheter quelques petites
choses pour ma route.
Toute ma monnaie m’a servie à négocier de l’eau, du pain et des figues.
L’intrigue dans ce pays, c’est qu’il y a plusieurs prix pour le même
produit, celui du Bédouin du coin et celui du citoyen de plus loin.
Moins de deux minutes de négociations, une femme se jette dans
l’affaire.
L’air de rien, un être est apparu, et m’a ramené la moitié de toute ma
ferraille, tout en gardant mes victuailles.
Bataille achevée, vêtue d’un voile intégrant tout, couvrant son visage,
lui réservant que ses yeux, elle s’abandonne à mes pieds en me suppliant.
Biaisant mes yeux de côté pour ne pas regarder les siens, afin de la
respecter, surtout pour un étranger, dans ces pays, je n’ai pu reconnaître son
sexe, que, par les formes de son corps.
— J’implore
mon Dieu, laissez-moi venir avec vous, j’ai eu beau faire de mon mieux pour
garder mes distances depuis votre arrivée, je ne peut plus vous suivre sans me
faire voir, vous allez pénétrer des terres sévères.
— Prière
madame, avez-vous la moindre idée de l’endroit où je me rends, certainement que
votre mari vous attend, ainsi que votre famille, il est plus prudent pour vous
de faire demi-tour.
— Pour moi, nous sommes corps et âme, nous sommes
tous deux une seule lumière, vous êtes moi, je suis vous. Vous êtes
celui que je cherchais, c’est de vous quand je parle de moi, c’est de moi que
je parle maintenant, parce que c’est moi que je cherchais et je vous ai trouvé.
Désarticulé dès les premiers mots prononcés par cette femme, toute ma
carcasse tressaille, tout ce heurt dans ma tête et dans mon cœur. Lutteur calme
comme après un combat, tout étourdi, ce qui importe pour le moment, c’est que
je préserve ma lucidité, d’étouffer l’émotivité, considérer cette présence
comme un mirage aux portes du désert.
Faire de sorte que ce grand coup que je viens de recevoir, me laisse les
idées claires pour continuer mon chemin, je l’avoue, un peu cabosser pour le
coup.
— Vous
pouvez vous servir de moi, je peux vous aider sur la route, une sorte de guide,
où que vous serez, dans quelle situation que vous vous trouverez, je serais là,
puisque je me suis trouvé en vous, vous me possédez, me dit-elle, prosternée.
Anticiper les difficultés à venir ne m’inquiète pas, le destin qui
m’attend à présent avec cette femme sur ce chemin, comme une fleur, je la
cueille volontiers, pourquoi serais-je saisie de stupeur, j’ai déjà goûté aux
difficultés et aux beautés de la vie.
Aussi, pour qu’un nouvel être naisse, les difficultés sont nécessaires,
je me réfère à ce précepte.
J’accepte la venue de cette inconnue comme si quelqu’un, plutôt
quelqu’une m’était envoyée pour me tirer, pour me précipiter à la recherche de
ce que j’ai perdu, qui a disparu, cette mort apparente en moi qui fait que mon
cœur se meurt depuis elle.
Elle, Quiestelle, puis-je ressentir à nouveau de la chaleur, pouvoir
ouvrir mon cœur, comprendre cette apparition, là, tout cela m’est extérieur.
Cœur pour quelqu’une à qui je pourrais offrir tout mon amour, et ma
dévotion éperdue, comme pour Quiquimiel, qui en bas, a disparu.
Perdu par le fanatisme d’un organisme, qui incarne une stratégie de peur
en déployant, moyennant des pauvres gens bandés de charges dans des capitales,
qui se détonent pour répandre le mal, le "Macchabre".
Nabab jusqu’au bout de toute la famille, cette confrérie s’offre tout ce
qui n’est pas beau, elle n’a pas de sapidité pour la beauté, parce qu’elle n’a
pas d’organe majeur.
L’ardeur qui m’amène ici est la mémoire de toutes celles, et de tous
ceux qui comme elle, Quiquimiel ne nous laissent maintenant que des rayons
soleil dans nos âmes.
Sésame sur le pain, un peu de miel, un peu d’eau, au beau milieu de la
nuit, voici trois jours que j’ai foulé le sol de ce pays.
Endormie à trois mètres, en retrait comme toute la distance parcourue, Quiestelle
qui me suit, est éclairée par ce bijou suspendu dans le ciel, la lune est
pleine et superbe.
L’herbe est pratiquement inexistante, la surprenante nature souffle un
léger vent apportant une odeur, celle des portes du désert, quelques arbustes
servent de paravent, la brume nocturne humecte la terre jusqu’au matin.
Anas De Bernieras
Commentaires
Enregistrer un commentaire